Le CPE inconstitutionnel à plus d'un titre !

Publié le par PRG 78

Par Roger Gérard SCHWARTZENBERG, ancien ministre,
député du Val-de-Marne,
président d'honneur du Parti radical de gauche (PRG).
 
Evidemment, les députés de l'opposition déféreront au Conseil constitutionnel les articles de loi créant le contrat première embauche (CPE). En invoquant quatre principaux griefs. Deux tenant au fond, deux à la forme.

En premier lieu, établir une discrimination en fonction de l'âge méconnaît le principe d'égalité des salariés. Un jeune de moins de 26 ans et un salarié plus âgé, titulaires l'un et l'autre d'un CDI (le CPE étant considéré comme tel), occupant le même poste de travail dans la même entreprise, seront traités différemment. Le premier pourra être licencié sans motif explicite et dans des formes simplifiées, le texte de loi excluant l'application de l'article L. 122-14 du code du travail. En revanche, le second bénéficiera de ses protections : procédure contradictoire avant la rupture du contrat par l'employeur, entretien préalable au cours duquel celui-ci est tenu d'indiquer le ou les motifs du licenciement envisagé.

Le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe d'égalité, notamment en matière sociale, dès sa décision des 19 et 20 juillet 1983, et a souligné que le législateur ne peut y déroger que pour des «raisons d'intérêt général». Le gouvernement tentera de soutenir que le CPE contribuera à réduire le chômage, mais rien n'est moins sûr. En effet, au lieu de susciter des embauches supplémentaires, il se substituera le plus souvent à des CDI classiques ou à des CDD, qui auraient été conclus si ce nouveau dispositif n'avait pas été créé. Au lieu d'une «raison d'intérêt général», il s'agira surtout d'un effet d'aubaine pour les entreprises.

Second grief de fond : l'atteinte aux principes fondamentaux du droit du travail. Même soudainement rebaptisée, la «période de consolidation» du CPE (présenté comme un CDI) est en réalité comme dans le contrat nouvelles embauches (CNE) une période d'essai. Or celle-ci sera de deux ans pour le CPE, au lieu de un à trois mois pour les autres CDI.

Cette longueur, très excessive, est contraire à plusieurs de nos engagements internationaux, dont la charte sociale européenne et surtout la convention 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur le licenciement, adoptée en 1982. Celle-ci indique qu'un Etat membre pourra exclure du champ d'application de ses dispositions «les travailleurs effectuant une période d'essai, à condition que la durée de celle-ci soit raisonnable». La Cour de cassation a précisé ce caractère raisonnable, en jugeant abusive une période d'essai de trois mois pour un coursier, de six mois pour un chargé de mission, de un an pour un cadre supérieur. Par sa durée abusive, la période dite «de consolidation» de deux ans pour un CPE est contraire à cette convention de l'OIT, qui, étant un engagement international, a «une autorité supérieure à celle des lois» (article 55 de la Constitution).

Restent deux griefs de forme, auxquels le Conseil constitutionnel sera attentif vu sa jurisprudence sur la procédure d'élaboration et d'adoption de la loi et, en particulier, sur les règles régissant l'exercice du droit d'amendement. Les articles relatifs au CPE ont été incorporés par voie d'amendement gouvernemental au projet de loi de Jean-Louis Borloo «pour l'égalité des chances». Projet censé répondre au malaise social, révélé par la crise des banlieues, et réduire le sentiment de précarisation croissante, éprouvé en particulier par les jeunes. Certes, juxtaposer dans le même texte lutte contre l'anxiété sociale et renforcement de la précarité constitue un oxymoron politique, mais le Conseil constitutionnel ne peut contraindre le gouvernement à respecter la logique et la cohérence politique. Celui-ci soutiendra que, formellement, les articles relatifs au CPE ne sont pas «dépourvus de tout lien avec l'objet du projet de loi déposé». Ce que le Conseil risque d'admettre.

Toutefois, le Conseil exige toujours que les dispositions issues d'un amendement ­ parlementaire ou gouvernemental ­ «n'excèdent pas, par leur ampleur, les limites inhérentes au droit d'amendement». Il l'a encore rappelé, le 11 juillet 2001, pour des dispositions issues d'un amendement gouvernemental : «Les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les exigences qui découlent des premiers alinéas des articles 39 et 44 de la Constitution, dépasser, par leur objet et leur portée, les limites inhérentes au droit d'amendement.» Quand tel n'est pas le cas, le Conseil juge que les articles résultant de tels amendements ont été adoptés selon une procédure législative irrégulière, et les censure.

Or, au plan de la procédure, l'article 39 dispose que «les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat». Certes, avant de l'adopter au Conseil des ministres du 11 janvier, le gouvernement a pris l'avis du Conseil d'Etat sur le projet de loi sur l'égalité des chances. Mais ce texte ne comportait pas ­ alors ­ les dispositions créant le CPE, car celles-ci résultent d'un amendement gouvernemental rédigé et déposé après coup. Postérieurement à la consultation du Conseil d'Etat.

Pour tenter de justifier ce défaut de consultation, le Premier ministre tient un double langage. Devant le Conseil d'Etat, on assure que le CPE est identique au CNE et que, le projet d'ordonnance créant le CNE lui ayant été soumis, il n'y a pas lieu de le consulter de nouveau. En revanche, à l'Assemblée nationale et sur les médias, Dominique de Villepin soutient que le CPE est essentiellement différent du CNE, car il comporte d'autres dispositions pour les salariés : décompte dans la période d'essai des formations en alternance ou des stages effectués dans l'entreprise, droit à indemnisation du chômage dès le quatrième mois, droit individuel à la formation dès le premier.

En réalité, d'autres différences existent, encore plus essentielles. D'une part, le CNE peut concerner tous les salariés quel que soit leur âge, alors que le CPE concerne exclusivement les moins de 26 ans. D'autre part, le CNE est réservé aux entreprises de moins de vingt salariés, tandis que toutes, quelle que soit leur dimension, peuvent recourir au CPE. En tout cas, on ne peut soutenir une chose et son contraire, en utilisant ce que Bergson appelait une «argumentation sautillante». Si, comme l'affirme Matignon, le CPE est essentiellement original par rapport au CNE, alors cela signifie que le Conseil d'Etat s'est vu soumettre un texte qui, ensuite, après sa consultation, a été substantiellement modifié.

Avec ce projet de loi sur l'égalité des chances, profondément changé postérieurement à la consultation du Conseil d'Etat, on retrouve exactement le même cas de figure qu'avec la loi Raffarin sur l'élection des conseillers régionaux. Saisi par Jean-Marc Ayrault, François Bayrou, Alain Bocquet, Yves Cochet, moi-même et nos collègues députés PS, UDF, PC, Verts et PRG, le Conseil constitutionnel avait, le 3 avril 2003, déclaré contraire à la Constitution une disposition essentielle de ce texte parce que celle-ci avait été soumise au Parlement sans l'avoir été au préalable au Conseil d'Etat. En motivant ainsi sa décision : «Considérant qu'en substituant, pour l'accès au second tour des élections régionales, un seuil égal à 10 % du nombre des électeurs inscrits au seuil de 10 % du total des suffrages exprimés retenu par le projet de loi soumis au Conseil d'Etat, le gouvernement a modifié la nature de la question posée au Conseil d'Etat ; que ce seuil de 10 % des électeurs inscrits n'a été évoqué à aucun moment lors de la consultation du Conseil Etat ; que les requérants sont dès lors fondés à soutenir que cette disposition du projet de loi a été adoptée selon une procédure irrégulière.»

Bref, ce grief relatif au défaut de consultation du Conseil d'Etat suffirait déjà, à lui seul, à justifier la censure par la juridiction constitutionnelle des articles relatifs au CPE. Au-delà des considérations juridiques, cette censure marquerait l'obligation de respecter les règles du jeu parlementaire. En soulignant que le Premier ministre ne peut avancer au pas de charge ou agir à la va-vite pour faire profondément réformer le droit du travail par sa majorité parlementaire. Car, dans ce cas précis, éluder les procédures, c'est aussi transgresser la démocratie. En France, celle-ci s'impose à tous. Même à «l'homme pressé» de Matignon.

Publié dans Agir contre le CPE !

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